jeudi, mai 26, 2005

Bou ! T'as peur.

Convoquée dès potron-minet dans le bureau directorial, je me demande ce qui m’y attend. Je n’oublie pas avant de descendre de rajouter un trait de rouge à lèvres. Stratégiquement lorsqu’on affronte le supérieur hiérarchique, il faut absolument tuer dans l’œuf toute velléité qu’aurait l’adversaire de se sentir, justement supérieur. Et là, le rouge à lèvres peut s’avérer un compagnon de choix, et oui, c’est moi la féministe qui dit cela, mais c’est prouvé, signe d’une certaine confiance en soi l’artifice esthétique ainsi arboré revient à dire " fais gaffe, rien ne m’atteint alors reste dans ton rôle et ta journée commencera bien. Compris ".
Donc, je descends lentement l’escalier tentant de me remémorer toutes les notes que j’ai pu transmettre pour big boss et qui pourraient éventuellement me revenir en pleine face. Parce qu’ici, nous n’avons qu’une obsession : " le coup de sang de big boss ". Et il faut croire que le type malgré ses 70 balais a encore beaucoup de réflexes sanguinolents car si on faisait un test de dopage aux directeurs de la boite, on devrait pourvoir trouver une concentration de valium digne d’un hôpital psychiatrique. C’est son shoot à lui, il détruit pour mieux vivre. Why not ? Faudra que j’y réfléchisse !
Revenons à mon escalier. Je ne vois pas ce qui ne va pas : un peu dans le moule donc, puisque je pense forcément à ce qui ne va pas, parler d’épanouissement professionnel reviendrait à se dire que les canaris sont bleus. Je toque, passe la tête puis le reste de mon leste corps. La mouette - petit diminutif donné à la dirlo rapport à sa coiffure de décolorée qui laisse penser aux déjections de ce joyeux volatile - me dévisage avec son regard bovin, ne dit mot, et ferme la porte. Mon sang se glace et là, je me dis que ça doit être super grave, la mise à pied, le blâme, le licenciement pour faute grave, la cheminée monumentale, le prêt immobilier, vite un fusil qu’on en finisse.
Elle s’asseoit et me laisse plantée avec mes angoisses. Je m’affale dans le siège, digne et néanmoins minée par le remords de voir mes enfants mourir de faim par ma faute. Les secondes passent comme des minutes, et là, l’inconcevable se passe, elle se couche sur la table et déballe son sac " je ne peux plus, je n’y comprends plus rien, je me suis encore faite engueulée ce matin, je ne sais plus comment faire " et elle me fixe avec son air de cormoran apeuré.
Je viens de passer en deux secondes du statut pas très envié de victime de ma hiérarchie à la position du dominant entre les mains de qui on remet sa vie. Elle est à mes pieds en osant un " qu’est-ce que tu en penses ? ". Alors-là ma vieille, tu viens de signer ton arrêt de mort, me demander à moi, ton sous-fifre, ce que tu dois penser, mais c’est le monde à l’envers.
Deux postures. L’achever d’un trait de plume, j’ai déjà le rouge à lèvre, 1m75 contre 1m45, 32 ans contre 55 ans. Bon, certes, elle est directrice et moi non, mais ça, vu son état du jour, je suis sure qu’elle est en train de faire un déni. Bon, je pourrais très bien insister sur son côté minable, sur son poste d’opérette. Je pourrais ! Mais suis-je femme à profiter de la détresse des autres, à hurler avec les loups ? Non ! Mais, par moment, je m’en veux d’avoir des principes.
Deuxième posture. Prendre un air intelligent, je n’ai pas de mal, c’est naturel ! Et développer le thème " t’inquiètes, chérie, je m’occupe de tout, reposes-toi sur mes épaules, je vais te concocter une note béton et big boss il saura plus quoi te dire tellement il percevra le côté visionnaire du truc ". Immédiatement après, je te lui plante deux-trois arguments que je suis certaine qu’elle ne pourra pas comprendre. Parce qu’elle quand elle ne comprend pas, elle trouve cela génial et comme elle ne comprend pas grand chose, ça aide pour passer pour un demi-dieu.
Je la vois reprendre du poil de la bête même si elle est tel l’oisillon attendant la becquée. De là, à dire qu’elle me mange dans la main, la conclusion s’impose d’elle-même.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

La mise à mort du toro en pleine fiesta, c'est de la gnognotte à côté.
Voilà Clothilde la tueuse , tu devrais jouer dans Mad Max.
Viriato

6:36 AM  

Enregistrer un commentaire

<< Home