jeudi, juin 01, 2006

Descente aux enfers

Voilà 6 ans que je hante le service de la Mouette. Au début, elle m’a vu comme un suppôt de Satan, un espion à la solde de Big Boss. J’ai donc passé mes premières années à vivre un enfer.
Puis, un jour la mouette a eu l’idée de regarder mon CV et là, je suis passée du statut de croûton oublié derrière une malle à celui d’une personne potentiellement utile. Elle m’a donc un jour convoqué pour me dire que j’étais visiblement intelligente (je doute de sa propension à en juger puisque comme disait Coluche, les cons ne savent pas qu’ils sont cons puisque c’est avec cela qu’ils jugent !) et que donc nous allions pouvoir commencer à travailler.
Depuis quelques temps, le vent a tourné : régulièrement, elle vient s’affaler dans mon bureau et commence sa phrase par un "je n’en peux plus". Je dois dire que mon premier sentiment est totalement inavouable, tant le sadisme de mes pensées ne tromperait personne. Que l’on ne me jette pas la pierre ! Mais, mon coté calculateur reprend vite le dessus. Puisqu’elle vient me raconter sa vie et bien, elle va être servie.
Hier au retour d’une petite sauterie avec Big Boss au cours de laquelle la Mouette a servi de serpillière, elle s’affale dans mon bureau et me décrète " je n’en peux plus, ils me font fait vivre un enfer, ils auront ma peau ". Je ne pouvais pas laisser une frêle femme, fut-elle bête comme un troupeau de cloportes, dans la détresse la plus absolue, au risque d’avoir un retour de bâton, si un jour elle revenait en grâce.
" Réagissez ! ". Regard de bovin habituel comme si je venais de lui donner les chiffres du loto dans l’ordre. " Mais je ne peux pas, je suis complètement anéantie". Sur le coup, je la crois vus les valises sous les yeux et le tremblement des mains caractéristiques de l’alcoolique. Ne m’a-t-elle pas dit 20 minutes plus tôt " j’attends que Big Boss s’en aille pour m’en jeter un derrière la cravate ". Je pense qu’avec des propos pareils il ne faut pas non plus s’étonner d’être considérée comme une tenancière de tripots belges. Malgré tout, mon coté " bonne fille "reprend le dessus. Elle me fait pitié, elle a beau être incompétente, ce n’est pas une raison pour la traiter de la sorte. Ils n’ont qu’à la démissionner, mais je ne vois pas trop l’intérêt de la voir lentement devenir une espèce d’aubergine imbibée.
Donc, je me hasarde à prendre la place que visiblement elle veut bien me donner. Elle m’a au départ regardée abasourdi par tant de franchise " ça suffit, vous n’allez pas vous laisser détruire comme cela, vous avez vu la tête que vous avez, c’est pas possible, vous attendez quoi, d’avoir une maladie grave ". Sa bouche grande ouverte est un appel à continuer mon sermon " Il vous faut réagir. Plus ils vous voient à terre, plus ils vont vous humilier. Si vous vous rebiffez, ils laisseront tomber, croyiez-moi, ils s’attaquent aux plus faibles, réagissez, c’est votre seule chance ". Là, il s’est passé un truc que par décence, je ne raconterais pas à mes collègues, parce qu’elle ne se rend pas compte que c’est elle la chef et moi, le sous-fifre : les larmes lui sont montées au yeux. Je n’en menais pas large, je n’aime pas la faiblesse de ceux qui sont censés dominer. Quand on ne tient plus, il faut savoir arrêter une guerre, avant l’humiliation définitive.
" Je sais que tu as raison mais je n’ai plus le courage ". Et que voulez vous répondre à cela, même moi à qui on parvient rarement à rabattre le caquet étais assez décontenancée. Elle est restée avachie un long moment, une éternité dirai-je, puis s’en est allée avec tout le malheur du monde sur les épaules. Loin de me réjouir, je crains que nous ne soyons embringués dans une longue mais inéluctable descente aux enfers.

3 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Tsssk... Tu t'attendris, Clothilde ! :-) Enfin, à te lire, cette pauvre Mouette doit quand même bien faire pitié, depuis quelques temps... Fais gaffe à ton grade : une fois qu'ils auront épuisé ses capacités serpillièresques, ils riquent de passer à l'échelon suivant : ta pomme !

3:33 PM  
Blogger Loli lola said...

Ca sent le roussi... Ce n'est jamais facile ce genre de situation, mais je sais qu'il faut faire bien attention au rôle qu'elle veut te refiler.
Enfin moi j'dis ça, mais j'dis rien...

Loli lola

7:28 AM  
Anonymous Anonyme said...

Je suis scotchée sur ma chaise sans pouvoir en décoller. Tes expressions sont désopilantes ! "Bête comme un troupeau de cloportes" je suis bidonnée.
J'aime beaucoup ton style d'écriture, tu as du talent !
Bravo.

2:20 PM  

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